John Irving et l'écriture
Je crois que pour être romancier, il y a deux éléments psychologiques incontournables : trouver dans son imagination une forme de consolation de la réalité, un moyen de s’extraire de son quotidien tout en habitant son corps. Et avoir le désir d’être seul. On n’écrit pas de romans, du moins pas de façon si longue et si lente, si on ne goûte pas cette solitude. Je commence toujours par la dernière phrase et j’élabore à rebours le reste de l’histoire, son architecture, ses temps forts. J’y passe beaucoup de temps, parfois davantage que pour l’écriture elle-même. Je me souviens d’une époque où je me disais : pourquoi toujours commencer par la fin ? Aujourd’hui, j’ai compris que c’était la méthode qui me convenait.
Propos recueillis dans le Figaro.fr Madame par Julien Bisson, 21 février 2011.
Comment écrivez-vous ?
J’écris les premiers jets dans des cahiers de tout genre, toujours d’un seul côté de la double page afin de pouvoir mettre des mots ou des encarts sur la page vierge qui est en vis-à-vis. J’écris tout à la main. Tout le roman. J’écris également la plupart de mes brouillons ainsi. Si je commence un nouveau chapitre alors que je suis déjà en train d’en écrire un, je tourne le cahier sur lequel j’écris et je commence à noircir l’autre bout. J’utilise des cahiers ou des carnets vierges. Parfois, quand je suis chez moi, je me sers du verso de vieux jeux d’épreuves - ça préserve l’environnement. Je préfère écrire à la main car je suis trop rapide au clavier : avec la machine à écrire ou l’ordinateur portable je vais trop vite pour les premiers jets, beaucoup plus vite que je ne le veux vraiment, et, surtout beaucoup plus vite qu’il ne le faut pour écrire quelque chose de vraiment bon. Ecrire à la main me force à ralentir. Et cela permet de contrôler le style. Vous pouvez voir la différence entre mes manuscrits et ma correspondance tapée à la machine : à la machine ou à l’ordinateur, je fais beaucoup d’erreurs car je vais trop vite. Pour l’écriture d’un roman, je n’utilise la machine ou l’ordinateur que lorsque je corrige mon manuscrit : là, je ne redoute plus d’aller trop vite car je connais l’histoire, je connais chaque passage et je les peaufine.
Qu’est-ce qui est le plus important, l’intrigue ou le style ?
Le plus important de tout est le langage. Quand je commence l’écriture d’un roman, je sais déjà tout ce qui va se passer. L’intrigue est déjà en place. Je suis donc plus attentif au langage, plus concentré, car je ne suis pas en train de me demander : "Mais à quel moment Untel va-t-il se repointer ?" Je sais exactement quand Untel va se repointer : il va se passer cinquante ans avant qu’il se pointe de nouveau. Donc, n’ayant pas à penser à ces choses, je me concentre sur ce que je suis en train d’écrire : "Ça c’est un passage descriptif, ça devrait aller doucement, les phrases devraient être courtes ; voilà le dialogue qui convient, à tel endroit cela devrait aller plus vite ; voici l’action, Jane est prise pour un ours, etc." Prendre les phrases, les raccourcir, accélérer le dialogue, c’est de l’action. C’est cela, le travail de l’écrivain.
Extrait publié dans L’Express.fr, François Busnel, le 21/01/2011
Mini-bio :
1942 : naissance à Exeter, dans le New Hampshire.
1968 : parution de son premier roman, Liberté pour les ours !
1978 : triomphe planétaire pour Le Monde selon Garp, qui rafle le National Book Award.
2000 : oscar du Meilleur Scénario adapté pour L’Œuvre de Dieu, la part du Diable.
2011 : sortie de Dernière nuit à Twisted River, son douzième roman, aux Éditions du Seuil.
1942 : naissance à Exeter, dans le New Hampshire.
1968 : parution de son premier roman, Liberté pour les ours !
1978 : triomphe planétaire pour Le Monde selon Garp, qui rafle le National Book Award.
2000 : oscar du Meilleur Scénario adapté pour L’Œuvre de Dieu, la part du Diable.
2011 : sortie de Dernière nuit à Twisted River, son douzième roman, aux Éditions du Seuil.